Nous avons l’habitude sur ce blog de relever les nombreux arrêts de la Cour de cassation qui aboutissent à écarter la convention de forfait qui lie le salarié à son employeur pour permettre au salarié de bénéficier du paiements des heures supplémentaires effectuées.
La situation est toujours la même : un salarié passe une convention de forfait ; il se fait licencier et saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de ce licenciement et en paiement notamment de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires.
L’employeur lui oppose la convention de forfait ; le salarié conteste la validité de la convention de forfait. L’enjeu : s’il démontre que la convention de forfait n’est pas valide, le salarié a droit aux heures supplémentaires comme s’il avait été tenu par la durée légale de 35 heures. Nous avons déjà relevé de nombreux cas où le montant dû par l’employeur pouvait être très élevé.
A cette situation classique, l’arrêt de la Chambre sociale en date du 6 novembre 2019 nous paraît innover pour donner raison au salarié. Le moyen au fondement duquel les juges écartent les conventions de forfait est relevé d’office par les juges de cassation. Ce moyen, rappelons-le, est le suivant :
Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-45 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l’article 17, §§ 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Attendu, d’abord, que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;
Attendu, ensuite, qu’il résulte des articles susvisés des directives de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ;
Attendu, enfin, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires
Le message est donc clair : il revient aux juges de fond de contrôler par principe les conventions de forfait à l’aune de ces différentes dispositions.
Mais ce n’est pas tout. Les juges de cassation vont confronter la convention collective sur le fondement duquel la convention de forfait a été passée pour apprécier si ces dispositions prévoient un suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Faute de quoi, les dispositions de la convention collective ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.
Dans le cas présent, il s’agissait de la la convention collective nationale des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs du 16 juillet 2003 et de son avenant n° 2 du 21 octobre 2004 à cette convention collective, relatif à l’aménagement du temps de travail des cadres. Pour bien mesurer l’importance de la décision de la Cour de cassation, reproduisons ce qui est apparu insuffisant aux juges suprêmes : la hiérarchie devra examiner avec le cadre concerné sa charge de travail et les éventuelles modifications à y apporter, que cet entretien fera l’objet d’un compte rendu visé par le cadre et son supérieur hiérarchique, que les années suivantes, l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre seront examinées lors de l’entretien professionnel annuel, en son article 3 que les jours travaillés et les jours de repos feront l’objet d’un décompte mensuel établi par le cadre et visé par son supérieur hiérarchique qui devra être conservé par l’employeur pendant une durée de 5 ans, que ces dispositions.
Bref, il ne suffit pas de faire le point une fois par an lors de l’entretien annuel ; il ne suffit pas non plus d’un décompte mensuel.
On peut se demander si la Cour de cassation ne vient pas de mettre fin indirectement à l’hérésie que représentent les conventions de forfait en imposant au minimum un suivi hebdomadaire sur le temps de travail effectué, soit finalement une manière d’apprécier si le salarié effectue des heures supplémentaires au regard de la durée légale.