Conférence internationale du Travail
DECLARATION DU CENTENAIRE DE L’OIT POUR L’AVENIR DU TRAVAIL ADOPTEE PAR LA CONFERENCE A SA CENT HUITIEME SESSION, GENEVE, 21 JUIN 2019
La Conférence internationale du Travail, réunie à Genève en sa cent huitième session, à l’occasion du centenaire de l’Organisation internationale du Travail (OIT),
Considérant que l’expérience du siècle passé confirme que l’action continue et concertée des gouvernements et des représentants des employeurs et des travailleurs est essentielle à la réalisation de la justice sociale et de la démocratie ainsi qu’à la promotion d’une paix universelle et durable;
Reconnaissant que cette action s’est traduite par des avancées historiques en termes de progrès économique et social qui ont conduit à des conditions de travail plus humaines;
Considérant en outre que la pauvreté, les inégalités et les injustices, les conflits, les catastrophes naturelles et d’autres situations d’urgence humanitaire qui persistent dans de nombreuses parties du monde, mettent en péril ces avancées ainsi que la réalisation d’une prospérité partagée et du travail décent pour tous;
Rappelant et réaffirmant les buts, les objectifs, les principes et le mandat énoncés dans la Constitution de l’OIT et dans la Déclaration de Philadelphie, 1944
Soulignant l’importance de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, 1998, et de la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, 2008;
Mue par l’impératif de justice sociale qui a donné naissance à l’OIT il y a cent ans et par la conviction qu’il est à la portée des gouvernements, des employeurs et des travailleurs du monde entier de redynamiser l’Organisation et de construire un avenir du travail qui donne corps à sa vision fondatrice;
Reconnaissant que le dialogue social contribue à la cohésion générale des sociétés et qu’il est déterminant pour instaurer une économie en bonne santé et productive;
Reconnaissant aussi l’importance du rôle des entreprises durables comme créatrices d’emplois et pour promouvoir l’innovation et le travail décent;
Réaffirmant que le travail n’est pas une marchandise;
S’engageant en faveur d’un monde du travail exempt de violence et de harcèlement;
Soulignant en outre l’importance de promouvoir le multilatéralisme, notamment pour façonner l’avenir du travail que nous voulons et pour faire face aux défis du monde du travail;
Appelant tous les mandants de l’OIT à réaffirmer leur engagement sans faille et à renouveler leurs efforts en faveur de la justice sociale et d’une paix universelle et durable envers lesquelles ils se sont engagés en 1919 et en 1944;
Désireuse de démocratiser la gouvernance de l’OIT par une représentation équitable de toutes les régions et de consacrer le principe de l’égalité entre les Etats Membres,
Adopte ce vingt et unième jour de juin deux mille dix-neuf, la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail.
I
La Conférence déclare que:
- L’OIT célèbre son centenaire à un moment où le monde du travail connaît une transformation profonde, sous l’effet de l’innovation technologique, de l’évolution démographique, des changements environnementaux et climatiques, de la mondialisation, et des inégalités persistantes qui ont de profondes répercussions sur la nature du travail et son avenir de même que sur la place et la dignité de l’être humain dans ce nouveau contexte.
- Il est impératif d’agir d’urgence pour saisir les opportunités et relever les défis en vue de construire un avenir du travail juste, inclusif et sûr et qui aille de pair avec le plein emploi productif et librement choisi et le travail décent pour tous.
- Un tel avenir du travail est fondamental pour un développement durable qui mette fin à la pauvreté et ne laisse personne de côté.
- L’OIT doit transposer dans son deuxième siècle d’existence son mandat constitutionnel au service de la justice sociale avec une inlassable énergie, en développant son approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain, qui place les droits des travailleurs ainsi que les besoins, les aspirations et les droits de toutes les personnes au cœur des politiques économiques, sociales et environnementales.
- La progression de l’Organisation au cours des cent dernières années vers une composition universelle signifie que la justice sociale peut être consacrée dans toutes les régions du monde et que la contribution pleine et entière des mandants de l’OIT à cet effort ne pourra être assurée que s’ils participent pleinement, sur un pied d’égalité et démocratiquement, à sa gouvernance tripartite.
II
La Conférence déclare que:
- En s’acquittant de son mandat constitutionnel, tout en tenant compte des profondes transformations du monde du travail et en développant son approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain, l’OIT doit consacrer ses efforts à:
- garantir une transition juste vers un avenir du travail qui contribue au développement durable dans ses dimensions économique, sociale et environnementale;
- exploiter tout le potentiel du progrès technologique et de l’augmentation de la productivité, notamment grâce au dialogue social, pour parvenir au travail décent et à un développement durable visant à garantir à tous la dignité, l’épanouissement personnel et le partage équitable de leurs avantages
- promouvoir l’acquisition de compétences, d’aptitudes et de qualifications en faveur de tous les travailleurs tout au long de la vie active, en tant que responsabilité partagée entre les gouvernements et les partenaires sociaux pour:
–remédier aux déficits de compétences, d’aptitudes et de qualifications existants ou attendus;
–accorder une attention particulière à l’adaptation des systèmes d’éducation et de formation aux besoins du marché du travail, en tenant compte de l’évolution du travail;
–renforcer la capacité des travailleurs de tirer parti des possibilités de travail décent;
- élaborer des politiques efficaces ayant pour objectif le plein emploi productif et librement choisi ainsi que la création de possibilités de travail décent pour tous, en particulier en facilitant la transition de l’éducation et de la formation au monde du travail, l’accent étant mis sur l’intégration effective des jeunes dans le monde du travail;
- soutenir les mesures qui permettent aux travailleurs âgés d’élargir leurs choix, en optimisant leurs possibilités de travailler dans de bonnes conditions, productives et saines jusqu’à leur départ à la retraite et en vue de permettre un vieillissement actif;
- promouvoir les droits des travailleurs en tant qu’élément essentiel en vue de parvenir à une croissance inclusive et durable, en mettant l’accent sur la liberté syndicale et la reconnaissance effective du droit de négociation collective en tant que droits habilitants;
- parvenir à l’égalité de genre au travail au moyen d’un programme porteur de changements profonds, en procédant régulièrement à une évaluation des progrès accomplis, qui:
–permette l’égalité de chances, l’égalité de participation et l’égalité de traitement, y compris l’égalité de rémunération des femmes et des hommes pour un travail de valeur égale;
–favorise un partage plus équilibré des responsabilités familiales;
–offre la possibilité de mieux concilier vie professionnelle et vie privée, en permettant aux travailleurs et aux employeurs de trouver des solutions, par exemple l’aménagement du temps de travail, qui tiennent compte de leurs besoins et avantages respectifs;
–encourage les investissements dans l’économie du soin;
- parvenir à l’égalité de chances et de traitement dans le monde du travail pour les personnes handicapées ainsi que pour les autres personnes en situation de vulnérabilité;
- appuyer le rôle du secteur privé en tant que principale source de croissance économique et de création d’emplois en promouvant un environnement favorable à l’entrepreneuriat et aux entreprises durables, en particulier les micro, petites et moyennes entreprises ainsi que les coopératives et l’économie sociale et solidaire, afin de générer du travail décent, de parvenir au plein emploi productif et d’améliorer les niveaux de vie pour tous;
- appuyer le rôle du secteur public en tant qu’important employeur et fournisseur de services publics de qualité;
- renforcer l’administration et l’inspection du travail;
- veiller à ce que les diverses formes de modalités de travail, les modèles de production et modèles d’entreprise, y compris dans les chaînes d’approvisionnement nationales et mondiales, stimulent les possibilités de progrès social et économique, permettent le travail décent et soient propices au plein emploi productif et librement choisi;
- éradiquer le travail forcé et le travail des enfants, promouvoir le travail décent pour tous, et promouvoir la coopération transfrontalière, y compris dans les domaines ou les secteurs à haute intégration internationale;
- promouvoir la transition de l’économie informelle à l’économie formelle, en accordant l’attention voulue aux zones rurales;
- élaborer des systèmes de protection sociale qui soient appropriés, durables et adaptés à l’évolution du monde du travail, ou améliorer ceux qui existent déjà;
- approfondir et intensifier son action dans le domaine des migrations internationales de main-d’œuvre pour répondre aux besoins des mandants et jouer un rôle de premier plan en matière de travail décent dans les migrations de main-d’œuvre;
- intensifier son engagement et sa coopération au sein du système multilatéral pour renforcer la cohérence des politiques, étant entendu que:
–le travail décent est essentiel au développement durable, à la lutte contre les inégalités de revenus et à l’élimination de la pauvreté, en prêtant une attention particulière aux zones en proie à des conflits, à des catastrophes naturelles ou à d’autres situations d’urgence humanitaire;
–à l’heure de la mondialisation, la non-adoption par un pays quelconque d’un régime de travail réellement humain fait plus que jamais obstacle au progrès dans tous les autres pays
- Le dialogue social, y compris la négociation collective et la coopération tripartite, constitue un fondement essentiel sur lequel repose l’ensemble des activités de l’OIT et contribue au succès des politiques et des décisions adoptées dans ses Etats Membres.
- Une coopération efficace sur le lieu de travail est un outil permettant d’assurer des lieux de travail sûrs et productifs, de telle sorte qu’elle respecte la négociation collective et ses résultats et ne fragilise pas le rôle des syndicats.
- Des conditions de travail sûres et salubres sont fondamentales au travail décent.
III
La Conférence appelle l’ensemble des Membres, en tenant compte de leur situation nationale, à œuvrer individuellement et collectivement, en s’appuyant sur le tripartisme et le dialogue social, et avec le soutien de l’OIT, pour développer son approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain par les moyens suivants:
- Renforcer les capacités de tous à tirer parti des possibilités offertes par un monde du travail en mutation, grâce à :
- la concrétisation de l’égalité de genre en matière de chances et de traitement;
- un système efficace d’apprentissage tout au long de la vie et une éducation de qualité pour tous;
- l’accès universel à une protection sociale complète et durable;
- des mesures efficaces pour accompagner les personnes au cours des transitions auxquelles elles auront à faire face tout au long de leur vie professionnelle.
- Renforcer les institutions du travail pour assurer une protection adéquate à tous les travailleurs, et réaffirmer la pertinence de la relation de travail en tant que moyen d’offrir sécurité et protection juridique aux travailleurs, tout en reconnaissant l’ampleur de l’informalité et la nécessité de prendre des mesures efficaces de transition vers la formalité. Tous les travailleurs devraient jouir d’une protection adéquate conformément à l’Agenda du travail décent, en tenant compte des éléments suivants:
- le respect de leurs droits fondamentaux;
- un salaire minimum adéquat, légal ou négocié;
- la limitation de la durée du travail;
- la sécurité et la santé au travail.
- Promouvoir une croissance économique soutenue, inclusive et durable, le plein emploi productif et librement choisi et le travail décent pour tous par:
- des politiques macroéconomiques visant principalement à atteindre ces buts;
- des politiques commerciales, industrielles et sectorielles qui favorisent le travail décent et accroissent la productivité;
- des investissements dans les infrastructures et dans des secteurs stratégiques afin de s’attaquer aux facteurs de transformation profonde que connaît le monde du travail;
- des politiques et des mesures incitatives qui promeuvent une croissance
économique durable et inclusive, la création et le développement d’entreprises durables ainsi que l’innovation et la transition de l’économie informelle à l’économie formelle, et qui favorisent la mise en adéquation des pratiques entrepreneuriales avec les objectifs de la présente Déclaration;
- des politiques et des mesures permettant d’assurer une protection appropriée de la vie privée et des données personnelles, de relever les défis et de saisir les opportunités dans le monde du travail qui découlent des transformations associées aux technologies numériques, notamment le travail via des plateformes.
IV
La Conférence déclare que:
- L’élaboration, la promotion, la ratification des normes internationales du travail et le contrôle de leur application revêtent une importance fondamentale pour l’OIT. L’Organisation doit, de ce fait, posséder et promouvoir un corpus clairement défini, solide et à jour de normes internationales du travail et améliorer la transparence. Les normes internationales du travail doivent également refléter les évolutions du monde du travail, protéger les travailleurs et tenir compte des besoins des entreprises durables, et être soumises à un contrôle efficace et faisant autorité. L’OIT doit aider ses Etats
Membres à ratifier et à appliquer ces normes de façon effective.
- Tous les Etats Membres devraient œuvrer à la ratification et à l’application des conventions fondamentales de l’OIT et examiner périodiquement, en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs, la possibilité de ratifier d’autres normes de l’OIT.
- Il incombe à l’OIT de renforcer la capacité de ses mandants tripartites en vue:
- d’encourager la constitution d’organisations de partenaires sociaux solides et représentatives;
- de leur permettre de prendre part à tous les processus pertinents, y compris aux institutions, aux programmes et aux politiques du marché du travail, aux niveaux national et transnational;
- d’aborder tous les principes et droits fondamentaux au travail, à tous les niveaux, selon qu’il convient, grâce à des mécanismes de dialogue social solides, influents et inclusifs,
avec la conviction que cette représentation et ce dialogue contribuent à la cohésion générale des sociétés, sont des enjeux d’intérêt public et sont essentiels au bon fonctionnement et à la productivité de l’économie.
- Les services que l’OIT offre à ses Etats Membres et aux partenaires sociaux, notamment par le biais de la coopération pour le développement, doivent être conformes à son mandat et se fonder sur une compréhension approfondie et sur la prise en compte de la diversité de leurs situations, de leurs besoins, de leurs priorités et de leur niveau de développement, y compris dans le cadre d’une coopération Sud-Sud et d’une coopération triangulaire élargies.
- L’OIT devrait maintenir ses capacités et son expertise dans les domaines de la statistique, de la recherche et de la gestion des connaissances au plus haut niveau afin d’améliorer encore la qualité de ses conseils, fondés sur des données probantes, aux fins de l’élaboration de politiques.
- Sur la base de son mandat constitutionnel, l’OIT doit jouer un rôle important au sein du système multilatéral, en renforçant sa coopération avec d’autres organisations et en mettant en place avec elles des dispositifs institutionnels en vue de promouvoir la cohérence des politiques en faveur de son approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain, en tenant compte des liens solides, complexes et déterminants qui existent entre les politiques sociales, commerciales, financières, économiques et environnementales.
Le texte qui précède est le texte de la Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail, dûment adoptée par la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail dans sa cent huitième session (centenaire) qui s’est tenue à Genève et qui a été déclarée close le 21 juin 2019.
EN FOI DE QUOI ont apposé leurs signatures, ce vingt et unième jour de juin 2019:
Le Président de la Conférence,
JEAN-JACQUES ELMIGER
Le Directeur général du Bureau international du Travail,
GUY RYDER